Éditions Douro "Par la lecture, on s'absente de soi-même et de sa propre vie." Alphonse Karr
Éditions Douro "Par la lecture, on s'absente de soi-même et de sa propre vie." Alphonse Karr
Jean Streff est essayiste, romancier, scénariste, réalisateur. Il a notamment dirigé Marie Trintignant dans La Groupie et reçu le Grand Prix du Scénario du Festival International du cinéma fantastique d’Avoriaz pour La Dernière héroïne. Il est l’auteur d’un livre culte : Le Masochisme au cinéma (Henri Veyrier – 1978 et 1990, Rouge profond – 2021) et a été lauréat du prix Sade pour son Traité du fétichisme à l’usage des jeunes générations (Denoël - 2005), traduit au Japon avec plus de mille illustrations. Son dernier roman : - En souvenir de demain est paru aux éditions Douro en 2021.
Transports amoureux
Ce sont toujours les êtres éperdus qui se fourrent dans des lits interdits où l’infante rit une fois l’éros tari. Et Jean Streff en choisit un pour tirer la langue au bon genre là où la bouche se pend lorsqu’un tel héros succombe aux exploits cinématographiques de Gary Cooper, Alan Ladd, Grace Kelly et quelques autres héros de westerns pas forcément ternes.
Le personnage central — mais plus où moins à l’ouest — reste étrange : il est obsédé par l’idée d’être né à minuit. Ce qui est après tout une idée comme une autre. Est-ce toutefois une bonne raison pour prendre un train à la même heure ?
Et pas des moindres : puisqu’il mène nulle part — ce qui peut être partout. Dans un tel train à la Jarmusch, le héros se retrouve en compagnie d’un contrôleur déglingué, du fantôme d’Edith Piaf et d’un clown — triste comme il se doit. Ce qui n’est pas le cas de ce rail-movie.
A sa manière, il déraille puisque, quittant la Gare de Lyon, il traverse autant la France dite douce que l’Amérique de l’enfance. Il y a de quoi perdre le nord, là où le temps égare sa boussole. Il encombre plus qu’il ne rend service dans ce train où l’on ne dort jamais et où les fantômes deviennent des sortes de vampires.
En ce grouillements d’histoires et d’aveux, à mesure que le convoi avance la fiction se double d’autres moyens de transport qui vont à la filoche érotique en des sortes de flash-backs “en souvenir de demain”. Ces remembrances reviennent parfois avec un appétit de chacals. Question sentiments, tout reste dans l’incertitude même si les “histoires de cul” que raconte le héros ne font rire personne.
Reste une problématique de transport amoureux où les vies sont des fantômes au nom de celle par qui tout a commencé et qui vient de mourir de manière suspecte : la mère. Elle aima son fils (é)perdu plus sans doute qu’il eût été raisonnable de le fomenter. Ce qui pour le faux menteur romancier est le plus merveilleux des prétextes à une dérive absolue.
A force de se mélanger les saucisses, tout se retrouve où cela a dû s’embrouiller en des aiguillages intempestifs. Via un tel voyage, la caverne de Platon elle-même est un gouffre chimérique : contre ses murs, l’aveu du meurtre maternel prend un léchage particulier.
jean-paul gavard-perret
Jean Streff, En souvenir de demain, Editions Douro, coll. Le Bleu-Turquin, Chaumont, 2021, 166 p. — 18,00 €. Nouveau paragraphe
J'irai par les rues sombres égorgeant
vos fantômes
« La foule s’était écartée sur son passage comme devant les pas d’un prophète. Je me précipitai. Je vis la gorge tranchée net par la lame du rasoir. Je vis la tête en partie détachée du corps de la bête, le sang giclant des artères comme des jets de sperme et souillant à gros bouillons l’eau du ruisseau. Et je restais là dans ce cerceau de feu où les lions hésitent parfois à sauter lors des numéros de dressage. Je restais là, et je regardais l’entaille extrême du cou où les gerbes de sang s’apaisaient, le visage qui reflétait maintenant une incroyable mélancolie. Je restais là et j’aurais voulu que jamais cet instant ne cessât. »
En souvenir de demain
Après avoir appris la mort de sa mère dans des circonstances équivoques, un homme, obsédé par l’idée d’être né à minuit, prend un train à la même heure à Paris-Gare-de-Lyon. Un train sans destination dont les seuls passagers sont un contrôleur fou et agressif, le fantôme d’Edith Piaf et un clown triste et mélancolique. Le convoi nocturne semble traverser le temps, les rêves et les fantasmes, tandis que l’homme y revit des pans entiers de son passé. Mais vers où le mène cette vieille locomotive à vapeur ?